Une amie est morte à 17 ans d’un cancer de l’estomac. Une amie d’enfance perdue de vue. Une amie qui n’a jamais été rappelée. Une mort qui tiraille entre la déception d’une occasion à tout jamais manquée et le soulagement d’un baume au cœur évité. Aurait-il mieux fallu la revoir, s’attacher pour la perdre, ou attendre, pour que la mort décide à ma place ? Les questions sans réponses sont le jeu favori de l’univers. Un supplice à se tordre de rire, un spectacle comique d’une espèce condamnée par ses propres limites, dont raffole quiconque nous a octroyé la capacité de réfléchir. Il est certain que nos espoirs primaires quant au sens de notre existence est une comédie hilarante. Nos désespoirs ne sont sûrement pas non plus épargnés de telles moqueries. Une vraie tragédie comique. Des être dotés de suffisamment d’intelligence pour réfléchir au sens de leur existence, mais jamais assez pour trouver une réponse. Des êtres voyageant à travers une obscurité qui croît à chaque découverte, tout en étant convaincus d’être sur le bon chemin. Surtout, des êtres qui ressentent le besoin d’un sens, qui ne sauraient accepter une existence dénuée d’un destin grandiose, d’une importance divine.
“Pourquoi suis-je en vie ?” – se demanda l’humanité, en regardant les étoiles, il y a 10 siècles. “Pourquoi suis-je en vie ?” se demanda l’humanité, encore, en regardant les mêmes étoiles, aujourd’hui. Une question restée éternellement sans réponse. “Éternellement ?” – s’écria l’univers. “Ha ! Tu n’es là que depuis une fraction de secondes. Tu ne sauras jamais, et c’est mieux comme ça.”
Cette réponse a toujours été parfaitement inacceptable. Enfin, ce semblant de réponse, cette auto-réponse, cet insupportable abandon par personnification d’un univers ou de quelque chose qui, d’évidence, n’en a que faire de nous… N’est ce pas ? Parce qu’il est plus confortable de penser que quelque chose nous a placé ici. Parce qu’il est plus simple d’accuser quelque chose, de n’importe quoi, mais, qu’elle existe cette chose, par pitié ! Même si elle ne dit rien, ou n’a rien à dire ! Mais ce confort, peu importe où il est trouvé, est toujours troublé par l’insoutenable “mais alors, pourquoi ?” Si rien ne nous a amené sur Terre, nous ne sommes qu’un hasard, une drôle de chose, une anecdote de l’univers. Si quelque chose a conduit à notre existence, était-ce un processus délibéré, “la vie qui trouve son chemin” ou l’action d’une chose consciente ? Un Dieu ? Des dieux ? Dieu, ce fut un choix. Un choix qui mit fin aux questions et apporta toutes les réponses. Alors, pour les générations qui suivirent, les réponses arrivèrent avant les questions, créant un nouveau magma de questions sans réponses : “Comment savoir si les textes disent vrai ?” “Même si Dieu existe, pourquoi veut-il que je le prie ?”. Un mélange de curiosité naturelle et de défiance envers l’autorité conduit alors ces “libérés” à chercher eux même les réponses. Et le spectacle des tortionnaires reprit son cours. Parce qu’après tout, par quel biais extraordinaire les raisons de notre existence pourraient-elles nous être communiquées ? La réponse nous dépasse tout autant que la question. Plus que ça, l’éventuelle voie de transmission d’une réponse nous dépasse. Même un semblant de recherche est futile. Où chercher ? Toute l’investigation se déroule dans nos têtes, avec un interlocuteur qui pourrait très bien ne pas exister. Un débat de fous, de schizophrènes. Alors vient l’abandon, qui correspond le plus souvent à de la désillusion, du déni. J’oublie l’absurdité de mon existence, j’accepte la réponse fabriquée de la vie en société. “Je dois étudier, puis travailler, puis me marier, puis faire des enfants, puis mourir” - se répète frénétiquement l’ensemble de l’humanité, à l’unisson. “étudier, travailler, se marier, faire des enfants, mourir” encore et encore, génération après génération. La fin des questions. La fin du spectacle. Ceux qui ne croient pas ont cessé de s’interroger. Ceux qui croient, croient et ne font que cela. Peut-être est-ce la voie la plus rationnelle. Puisque je ne saurais jamais, autant m’occuper l’esprit, avec quelque chose, autre chose, n’importe quoi, tout sauf l’ennui. La foi ou le vide.