75 ans
La vie est extraordinairement brève. Lorsque, la tête dans le guidon, nous conduisons sur cette nationale tranquille qu’est la vie en société, entouré de ces attentes et de ces règles et des innombrables pressions humaines d’un primaire atroce, il est aisé de croire que cette route durera pour l’éternité. En vérité, il est impossible, même sachant cela, de s’arrêter par crainte de se faire renverser par un autre perdu dans son envolée capitaliste et dont les freins sont dysfonctionnels ou arrachés de force. Je me trouve bien souvent égarée dans cette course qu’est la productivité et la “réussite sociale”. Parfois la marche semble trop haute. Alors je trébuche et, comme un damné amoureux de son supplice, je reprends mon escalade effrénée sans regarder en arrière. Cette course ne s’arrête jamais. Elle continue dans la vingtaine, puis la trentaine, puis la quarantaine et, un jour, on a 50 ans et la pierre retourne se loger confortablement au pied de la montagne et là, seulement là, prenons-nous le temps de constater l’absurdité absolue de cette existence habillée de la parure du semblant. Le semblant de l’argent, de la réussite, des victoires fictives et des médailles d’auto-validation, des applaudissements de connivence stériles. Un bonheur entièrement fabriqué et en vase-clos dont l’accès qui m’a été donné n’a fait qu’accroitre mon dédain profond pour cet entre-soi complaisant. Je n’ai jamais pu me satisfaire d’aucune de mes réussites tant elles me rappellent Ô combien les plus méritants en sont injustement privés dès lors qu’ils ont eu le malheur de naître au mauvais endroit, dans la mauvaise famille, avec le mauvais prénom. Personne ne pourrait prétendre s’en foutre de ces normes implicites presque encodées dans la fabrique invisible et en même temps omnisciente, comme un panoptique gigantesque. L’expression de la seule vérité, notre disparition inévitable, serait désormais devenue une terrible platitude dans l’espoir de se placer au-dessus ou de s’en évader, évidemment en vain. Dites nous quelque chose que nous ne savons pas… Tout le monde le sait, au fond, rien de nouveau sous le soleil. Je n’ai rien de mieux à proposer. Continuez. Continuons.
La foi ou le vide
Une amie est morte à 17 ans d’un cancer de l’estomac. Une amie d’enfance perdue de vue. Une amie qui n’a jamais été rappelée. Une mort qui tiraille entre la déception d’une occasion à tout jamais manquée et le soulagement d’un baume au cœur évité. Aurait-il mieux fallu la revoir, s’attacher pour la perdre, ou attendre, pour que la mort décide à ma place ? Les questions sans réponses sont le jeu favori de l’univers. Un supplice à se tordre de rire, un spectacle comique d’une espèce condamnée par ses propres limites, dont raffole quiconque nous a octroyé la capacité de réfléchir. Il est certain que nos espoirs primaires quant au sens de notre existence est une comédie hilarante. Nos désespoirs ne sont sûrement pas non plus épargnés de telles moqueries. Une vraie tragédie comique. Des être dotés de suffisamment d’intelligence pour réfléchir au sens de leur existence, mais jamais assez pour trouver une réponse. Des êtres voyageant à travers une obscurité qui croît à chaque découverte, tout en étant convaincus d’être sur le bon chemin. Surtout, des êtres qui ressentent le besoin d’un sens, qui ne sauraient accepter une existence dénuée d’un destin grandiose, d’une importance divine. ...